Au cœur du mystère du conclave, ce rituel sacré par lequel l’Église catholique désigne un nouveau souverain pontife, se cache une série de gestes silencieux, de signes discrets, d’indices imperceptibles pour les profanes, mais lourds de sens pour les initiés. Parmi ces gestes figure une action singulière, rarement observée mais qui, lorsqu’elle se produit, suscite l’attention des vaticanistes et des connaisseurs : celle du cardinal élu qui, dans l’instant qui suit son acceptation du ministère pétrinien, ôte sa calotte rouge — appelée zucchetto — pour l’offrir au secrétaire du conclave.
Ce geste, bien que non inscrit dans le droit canonique ni formellement codifié dans les constitutions apostoliques régissant le conclave, a été rapporté à quelques rares occasions dans l’histoire récente. Il n’est ni une coutume universelle, ni une tradition solidement établie, mais plutôt un fait ponctuel, exceptionnel, dont la signification symbolique est interprétée à travers le prisme des usages curiaux, des relations humaines et du langage muet de la reconnaissance entre serviteurs de l’Église.
Un cadre sacré, un rôle discret : le secrétaire du conclave
Avant de comprendre la portée symbolique de ce geste, il convient de rappeler le rôle du secrétaire du conclave. Ce prélat, généralement issu du corps diplomatique du Saint-Siège ou des services du Secrétariat d’État, est chargé d’assurer le bon déroulement logistique et administratif du conclave. Il veille à la confidentialité absolue des débats, assiste les cardinaux dans l’organisation matérielle du scrutin, et coordonne avec rigueur les procédures complexes qui jalonnent cette élection hautement solennelle.
Souvent peu connu du grand public, le secrétaire du conclave incarne une figure de discrétion et de fidélité. Il agit dans l’ombre, mais son rôle est indispensable au bon déroulement du processus électoral. Il se trouve ainsi dans une proximité physique et spirituelle unique avec les cardinaux pendant ces jours de clôture et de prière intense. C’est peut-être cette position singulière, à la croisée du service et de la confiance, qui rend son éventuelle reconnaissance d’autant plus symbolique.
Le geste du don : reconnaissance, présage ou simple courtoisie ?
Il est arrivé, de manière tout à fait exceptionnelle, que le cardinal nouvellement élu au trône de Pierre ôte sa calotte rouge et la remette au secrétaire du conclave. Ce geste ne figure dans aucun texte liturgique, aucune constitution apostolique ni aucun manuel canonique. Il n’est pas requis par l’Ordo Rituum Conclavis, le rituel officiel du conclave, ni même mentionné dans les sources juridiques comme Universi Dominici Gregis.
Mais lorsqu’il se produit, ce geste retient l’attention. Car dans la culture cléricale du Vatican, où les signes, les gestes, les postures ont souvent plus de poids que les mots, il peut être lu comme une marque de gratitude personnelle, voire comme un signe avant-coureur d’une reconnaissance plus formelle. Certains y ont vu un « signal » du nouveau pape, exprimant sa volonté d’élever ultérieurement le secrétaire du conclave à la dignité cardinalice. La calotte rouge devient ainsi, par métonymie, le symbole d’une possible future pourpre.
Cas documentés : Jean XXIII et François, deux gestes remarqués
Deux exemples contemporains, bien qu’espacés de plusieurs décennies, ont alimenté cette lecture symbolique.
Le premier remonte à 1958, lors de l’élection d’Angelo Giuseppe Roncalli, devenu Jean XXIII. Selon certains récits, encore débattus, Jean XXIII aurait placé sa calotte rouge sur la tête de Mgr Alberto di Jorio, alors secrétaire du conclave. Ce dernier fut effectivement créé cardinal peu après l’élection. Même si les sources historiques sur ce point sont fragmentaires, le geste est évoqué dans plusieurs récits biographiques et témoignages oraux.
Le second cas est plus récent et mieux documenté. En 2013, après l’élection du cardinal Jorge Mario Bergoglio comme pape François, plusieurs journalistes et observateurs présents dans les coulisses ont rapporté qu’il avait enlevé sa calotte rouge pour la remettre à Mgr Lorenzo Baldisseri, secrétaire du conclave. Il lui aurait glissé ces mots : "Tu es cardinal à moitié." Ce geste fut discret, non publicisé officiellement, mais confirmé à demi-mot par des sources proches du Vatican. Mgr Baldisseri fut effectivement créé cardinal lors du consistoire suivant, en février 2014.
Une tradition émergente ou une simple courtoisie ponctuelle ?
À la lumière de ces deux cas, on pourrait être tenté de parler d’une tradition émergente. Pourtant, il faut rester prudent : deux exemples, aussi marquants soient-ils, ne suffisent pas à établir une coutume. Le droit canon distingue rigoureusement entre les usus (usages ponctuels), les consuetudines (coutumes locales ou personnelles), et les traditiones (pratiques universelles et pérennes). En l’espèce, nous sommes face à un usage personnel, non généralisé, dont la portée est d’abord humaine et spirituelle avant d’être institutionnelle.
Mais l’Église, riche de ses symboles, se nourrit aussi de ces gestes discrets qui, s’ils ne font pas la loi, font parfois l’histoire. L’offrande de la calotte rouge, dans ces cas rares, n’est donc pas à interpréter comme un droit à la pourpre cardinalice, mais comme un signe de confiance, un hommage à un service rendu dans l’ombre, et peut-être une ouverture à un avenir partagé dans le gouvernement de l’Église.
Conclusion : entre rite muet et récit vivant
En définitive, le don de la calotte rouge par le cardinal élu au secrétaire du conclave ne constitue ni une tradition canonique, ni une règle implicite. Il s’agit d’un geste personnel, rare, mais hautement symbolique, observé à deux reprises dans les temps modernes et toujours suivi d’une élévation au cardinalat. Il incarne, en un instant silencieux, cette dynamique propre au Vatican où l’histoire s’écrit autant dans les actes discrets que dans les textes solennels. Il témoigne aussi de cette part d’humanité, de reconnaissance et d’affection fraternelle qui survit au milieu des grandes décisions spirituelles.