Article du P. Jean-François Thomas s.j. publié le 2 mai 2025 dans le magazine France Catholique. (Le choix du pape est-il « dicté » par le Saint-Esprit ?)
On dit parfois que le Saint-Esprit « fait » l’élection du Pape. Mais Dieu ne dicte pas aux hommes leur décision. Il les éclaire, pourvu qu’ils soient ouverts à son action.
Le Saint-Esprit, au cœur de la Sainte Trinité, est souvent mal traité par le chrétien, soit parce qu’il l’ignore ou bien, au contraire, parce qu’il tend à mettre sous son sceau des actes qui ne proviennent pas de lui. Beaucoup de littérature contemporaine sur le sujet et bien des prédications hasardeuses risquent d’entretenir une confusion sur le rôle réel du Saint-Esprit dans la vie du baptisé et dans la marche de l’Église. À l’occasion d’un futur conclave, les affirmations les plus passionnelles et les plus irrationnelles prennent parfois la place d’une juste prudence et d’un équilibre spirituel qui furent, depuis l’origine, les caractéristiques de l’Église.
Le libre arbitre des cardinaux
Sans aucune modération, certains n’hésitent pas à affirmer que l’élection pontificale descendrait directement du Saint-Esprit s’imposant aux cardinaux électeurs sans tenir compte de l’exercice de leur libre arbitre, de leur choix, de leurs opinions sages ou erronées. Le Pape est choisi par des hommes qui professent la foi catholique mais qui sont faillibles en bien des aspects. Cette élection n’est donc pas uniquement surnaturelle : elle comporte de l’humain, et l’histoire de la sainte Église nous montre combien l’humain fut parfois le plus puissant et remporta le morceau. Dieu ne fait pas descendre dans la chapelle Sixtine et n’inscrit pas dans le cœur des prélats une tablette sur laquelle serait écrit en lettres d’or le nom du Souverain pontife.
L’inspiration du Saint-Esprit est réelle, ceci depuis les Apôtres, mais elle n’est pas membre électeur et ne dépose aucun bulletin de vote dans l’urne. Il suffit de regarder la façon dont Judas fut remplacé dans le groupe des Douze. Les Apôtres, bien guidés par l’Esprit Saint, commencent par choisir eux-mêmes deux hommes de bonne réputation, Barsabas le Juste et Matthias. Tout en priant, ils ont utilisé leur raison et leur sagesse pour définir les talents et les vertus espérés pour le nouvel Apôtre. Dans un second temps, ils s’en sont remis à la divine Providence, et ils tirèrent au sort, faisant confiance au signe envoyé par Dieu, et Matthias fut l’élu (Actes des Apôtres 1, 22-26).
« La nuque raide »
Notons cette harmonie qui est établie entre la véritable liberté chrétienne et l’œuvre du Saint-Esprit. Ce dernier ne tord rien, n’écrase pas : il perfectionne, il éclaire, il donne les grâces nécessaires pour que le choix humain soit selon le plan divin. Encore faut-il être de bonne volonté, faire preuve de souplesse et d’obéissance, renoncer à sa volonté propre. Sinon seul l’humain, brut et sans lien avec le Créateur, aura le dernier mot. Dans son catéchisme, l’Église a toujours enseigné que les dons de l’Esprit Saint soutiennent la vie morale chrétienne et rendent l’homme docile à suivre, dans un second temps, les inspirations du Saint-Esprit. Donc rien n’est jamais gagné d’avance car nous savons que nous avons, ô combien, la nuque raide et que nous freinons souvent des quatre fers pour ne pas avancer dans la direction pourtant éclairée par le Saint-Esprit, persuadés que notre science connaît mieux que Dieu ce dont nous avons besoin. Nous oublions que le Saint-Esprit ne désire pas nous rendre esclaves, nous soumettre, mais qu’il s’adresse à nous comme à des enfants confiants.
La docilité des Apôtres
Il est impressionnant de constater combien les Apôtres furent dociles sans être muselés. Après la Pentecôte, ils se laissèrent diriger en tout, sans pour autant perdre leur énergie et leurs caractères si divers : le Saint-Esprit révèle à Pierre ce qu’il faut dire et faire pour évangéliser les Gentils ; il envoie le nouveau Paul converti pour prêcher le Christ jusqu’au martyre ; il trace l’itinéraire des voyages apostolique ; il empêche Paul et Timothée de poursuivre leur prédication en Asie ; bien sûr il dirige, guide, conseille au moment du premier concile à Jérusalem ; il établit les évêques des premières communautés, etc.
Ce qui est vrai de cette présence constante du Saint-Esprit aux origines de l’Église est toujours valable de nos jours : l’Esprit Saint est présent, actif, inspirateur, à condition que l’homme soit ouvert à son action. Nous sentons bien, au moins à certains moments, combien l’œuvre de sanctification qu’il opère est efficace car c’est lui qui plante dans nos cœurs l’amour divin : « L’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » dit saint Paul (Romains 5, 5). Et encore, le même Apôtre : « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Corinthiens 3, 16). Certes nous sommes rétifs, mais parfois nous nous inclinons avec bonne grâce.
Regard surnaturel
Les cardinaux sont pétris de la même pâte que tout autre chrétien. Ils connaissent des combats identiques et un conclave n’est pas une parenthèse miraculeuse d’où disparaîtrait soudain le manque de générosité envers le Saint-Esprit. Dans la chapelle Sixtine, tous les sentiments se mêlent, toutes les tentations, toutes les ambitions humaines, et se mélangent avec les vertus, avec l’humilité et avec l’obéissance aux inspirations du Saint-Esprit. Voilà pourquoi il est nécessaire que chaque fidèle prie et offre des sacrifices afin que l’élan qui l’emporte soit celui conforme à la volonté de Dieu et non point aux plans strictement humains et politiques.
Le Saint-Esprit, guidant toute intelligence, nous enseigne à juger les choses du point de vue de l’éternité et pas seulement en considérant les choses engluées dans le temps. Ce regard surnaturel est celui qui habite tout homme désireux de correspondre à ce que Dieu attend de lui. Soyons confiants, sans être naïfs : les hommes d’Église les plus rebelles à son action peuvent, eux aussi, être touchés, retournés, bouleversés par le Saint-Esprit. Comme l’écrit saint Pierre : « Déchargez-vous sur le Saint-Esprit de toutes vos sollicitudes, car lui-même prend soin de vous » (1 Pierre 5, 7). Lors de l’ouverture et du déroulé du conclave, souvenons-nous de ce soin particulier que le Saint-Esprit réserve à ses serviteurs.